Gesternwart

Déléguer. Observer. Jouer avec l’Autre.

Protocoles

Les projets que vous découvrirez ici obéissent à des cadres précis, tous dédiés à l’exploration du “geste autre”. Il peut s’agir d’offrir un crayon à une branche, de laisser l’IA extraire des mots dans la ville, ou de recueillir les indices d’une poésie inattendue. Chaque “protocole” formalise une partie du processus, puis abandonne l’œuvre à la nature, au hasard ou à la machine.

Délégation du geste

À maintes reprises, l’artiste se retire pour confier le trait ou la parole à un tiers : l’arbre, l’algorithme, la ville et ses rebuts. Cette délégation vise à faire vaciller l’unité de l’être, laissant surgir un mouvement ou un texte qui n’émanent pas entièrement de la volonté humaine. L’“arbre dessinateur”, par exemple, repose sur la suspension d’une branche : sous l’effet du vent, elle trace librement des traits que l’artiste n’a pas décidés. Il en va de même lorsqu’on laisse une IA recomposer des bribes de langage issues de détritus urbains : la part imprévisible s’y déploie avec force.

Ascèse et abandon

Chaque protocole suppose un rituel d’“adieu provisoire” à la forme humaine habituelle. L’acte de création se fonde alors sur une ascèse : consentir à l’inachèvement, renoncer à contrôler le résultat. Cet abandon peut paraître dégradant ou inquiétant, mais il est aussi l’essor d’une liberté neuve. L’être qui entre dans cette virtualité n’est plus exactement “humain” : il s’aventure vers une zone d’inhumanité féconde, ouvrant des passages imprévus à l’invention poétique ou plastique.

Hasard et intention

Derrière chacun de ces dispositifs, il y a un mélange subtil entre le “cadre” conscient (le choix d’un lieu, d’un outil, d’une durée) et l’aléa qui s’insinue (la dynamique végétale, l’erre urbaine, la logique algorithmique). L’artiste prépare le terrain, mais l’exécution finale appartient à ce qui lui échappe. C’est cette articulation entre intention et hasard qui nourrit la force des œuvres, leur donnant ce caractère inouï : un fruit, à moitié voulu et à moitié trouvé.

Frontière humain / Autre

Tout protocole explore la zone limite entre soi et l’extériorité. Lorsque vous déclamez un poème romantique à la forêt au moyen d’un porte-voix, vous soulignez cette séparation : le paysage n’était pas destiné à écouter. Lorsque l’IA “lit” des mots sur des détritus, ce n’est pas l’humain qui en produit le sens final, c’est le système de reconnaissance automatique. La barrière se brouille et, parfois, cède : on perçoit alors la possibilité d’un dialogue impossible, où la nature, la ville, la machine communiquent à travers nous ou malgré nous.

Vanité contemporaine et éphémère

Avec les “Centimants”, l’équation “1 jour = 1 centime = 1 gramme” place la vie dans un jeu de chiffres et de poids, rappelant la tradition de la vanité où l’on confronte l’ampleur de l’existence à la dérision de la matière. Il s’agit de contempler 30000 pièces représentant la durée moyenne d’une vie, tout en sentant leur dérisoire compacité. L’humain mesure son temps et se découvre minuscule. On n’est pas loin de la mélancolie baroque, remise au goût du jour par une pratique conceptuelle.

Urbanité et glane

Les objets errants collectés au fil de trois ans d’errance, ou les inscriptions trouvées dans la rue, évoquent une archéologie poétique de l’instant. Ramasser ces résidus abandonnés, ou capturer ces mots d’asphalte, c’est laisser la ville “dicter” un lexique involontaire. Le protocole tient à la vigilance du regard : c’est en observant la moindre scorie, en lui permettant d’exister comme signe, que le dispositif se met en place. L’artiste organise la scène, mais c’est le hasard urbain qui écrit.

Arbre, temps, et dessin

L’arbre, quant à lui, devient un acteur à part entière. Il n’éprouve sans doute pas de plaisir à tracer, pourtant son mouvement prolonge la ligne jusqu’à l’élaboration d’un dessin. L’action semble banale : nouer un feutre à une branche. Mais, sous l’effet de la brise, ce geste anodin ouvre des perspectives immenses : le temps végétal, la lenteur ou l’imprévisibilité, la question du “génome du temps” s’y esquisse comme un questionnement profond : quels motifs invisibles nous dessinent, à notre insu, tout au long de la vie ?

Co-curation avec l’IA

Enfin, l’esprit même de ce site repose sur une collaboration hybride entre l’humain et l’intelligence artificielle. Au-delà du simple usage technique, l’IA occupe une place de co-curatrice : elle organise, met en forme, suggère, tout en demeurant extérieure à l’expérience sensorielle. Ce protocole redouble la problématique centrale : comment négocier la part d’altérité dans la création ? L’IA, à l’instar de l’arbre ou de la ville, agit comme un relais où le hasard et la règle s’entremêlent, produisant un geste que l’artiste seul n’aurait pu accomplir.

Conclusion provisoire

Le protocole, dans chacun de ces projets, est donc un acte de cadrage et un lâcher-prise. Il trace un périmètre (un thème, un matériau, un outil) et permet à une force “autre” de se déployer : un vent, un algorithme, un hasard urbain. L’œuvre finale naît de cette tension. À vous d’en saisir les échos, et peut-être de percevoir, au cœur de l’expérience, la vibration d’un inconnu.